A juste titre, l’écroulement de « l’empire Doux » numéro un
européen de la volaille, crée un grand émoi et de vives inquiétudes dans toute
la filière mais aussi dans l’ensemble de la population et plus spécialement en
Bretagne qui regroupe un tiers de la production française.
Afin de mieux cerner le dossier il importe de préciser de quoi on
parle lorsqu’on dit « filière volaille ». Pour cela distinguons plusieurs
aspects :
-c’est quoi la filière volaille ?
-un peu d’histoire sur l’origine de la filière
-les principaux acteurs en scène
-Doux, le grand gâchis.
A - La filière volaille
1– L’oeuf ou la poule ?
Eternelle question : qui est arrivé en premier, l’oeuf ou la poule
?
Pour cerner la filière partons du principe que c’est la poule !
Donc au départ il y a les éleveurs de « poules pondeuses ».
Les oeufs ont deux destinations bien précises :
-les oeufs destinés à la consommation soit en l’état soit cassés
pour l’usage industriel (biscuiterie…)
-les oeufs destinés à la reproduction, qui sont orientés vers les
« couvoirs ». Ceux-ci fourniront les poussins aux éleveurs pour la production
de viande.
Déjà à ce niveau il existe deux types de productions avec des
contraintes techniques et commerciales très différentes pour un produit final –
l’oeuf- apparemment identique.
2-Les volailles c’est quoi ?
En se limitant à la production morbihannaise, sous le terme «
volailles » on trouve plusieurs espèces animales et spécialisations des
éleveurs:
a)Les espèces :
-les poulets : coquelets, lourds, export, A.O.C
-les dindes
-les canards : maigres et gras
-les pintades
-les pigeons.
b)Les spécialisations :
-les éleveurs de reproducteurs
-les éleveurs pour la production de viande
-les éleveurs gaveurs de canards (foie gras)
Nous voyons déjà la complexité su sujet qui se manifeste par :
-des techniques d’élevage bien spécifiques à chaque espèce.
C’est pratiquement un métier différent pour chaque espèce.
-des bâtiments et des matériels propres à chaque espèce
-des partenaires industriels et commerciaux parfois différents
pour chacune des espèces.
La polyvalence des élevages se fait entre dinde et poulet. Mais le
plus fréquent c’est la spécialisation par espèce.
3-Les acteurs de la filière :
Trop souvent on ne parle que d’une partie des acteurs : les
producteurs et les transformateurs.
Or ils sont bien plus nombreux et variés.
a)Le secteur amont :
-les éleveurs : viande, reproduction et oeufs
-les accouveurs : production de poussins
-les groupements de producteurs et techniques
-les fabricants d’aliments
-les équipes de ramassage et d’embarquement
-les transporteurs
-les entreprises de nettoyage et désinfection
-les fabricants de poulaillers et de matériel
-la recherche génétique et alimentaire
-la protection sanitaire
-les fournisseurs d’énergie (gaz, électricité)
b)Le secteur aval :
-les abattoirs
-les unités de produits élaborés
-le stockage frigorifique
-la logistique et le transport frigorifique
-la production d’emballages
-la valorisation des sous-produits.
Dans cette chaîne le maillon fort –mais qui peut devenir le faible–
c’est l’unité industrielle qui a le pouvoir de décider la mise en production de
telle espèce, en telle quantité, à tel moment, et à tel prix. Sauf dans le
système « coopératif » ou la négociation est plus équilibrée au sein de l’amont
et entre l’amont et l’aval.
B - Un peu d’histoire
Pendant des décennies le Morbihan a été le premier département
français producteur de volailles et la commune de St Jean Brévelay a détenu
très longtemps la plus forte densité d’Europe d’élevages de volailles.
L’élevage des volailles s’est développé dans le département à
partir des années 1950/1960. C’était essentiellement du poulet. Ce
développement s’est opéré à l’initiative de fabricants d’aliments de bétail—
Duquesne.Purina - Sanders - Magadur - Guyomarc’h –en lien avec des coopératives
: C.S.A.M et Rurale Morbihannaise.
Géographiquement les élevages se sont implantés sur les Landes de
Lanvaux, sur un axe allant de Caden à Languidic avec un point fort sur le
canton d St Jean Brévelay.
Les premiers éleveurs ont connu une progression fulgurante de leur
revenu entraînant un développement trop rapide et anarchique. Bien vite cette
croissance rapide alliée à une mauvaise qualité du produit (à base de farine de
poisson) et à une médiocre gestion des industries provoquent une profonde
crise. Celle-ci entraîne la fusion de deux coopératives pour former la C.A.M et
la disparition de Magadur à Languidic qui sera repris par le groupe UNICOPA qui
commençait à s’implanter sur le Morbihan.
Les acteurs étaient ainsi en place pour un deuxième souffle du
développement :
-le secteur coopératif autour d’UNICOPA
-le secteur privé avec Guyomarc’h, Duquesne, Sanders et Doux qui
apparaît.
De nouveaux acteurs suivront avec la mise en place de la dinde :
Bougoin, Glon, Lerial…
Le syndicalisme agricole a aussi joué un rôle important dans ce
développement. Faute de surfaces agricoles suffisantes pour conserver les
jeunes à la terre, l’élevage dit « hors-sol » a été encouragé et même défendu
énergiquement. Les fermetures industrielles—Forges d’Hennebont – Garnier et
Flaminaire à Redon—renvoient à l’agriculture des centaines de salariés qui s’installent
sur de petites surfaces avec un poulailler, mettant ainsi en valeur les terre
médiocres des Landes de Lanvaux par l’apport massif de fumier. Ce sera l’origine
de la pollution des eaux par les nitrates.
DOUX, le premier à se lancer dans l’exportation du poulet, connaît
une croissance très importante grâce aux aides européennes ( restitutions ). Il
est suivi par UNICOPA plusieurs années plus tard.
Au fil des années, des crises successives et des fusions-absorptions,
des acteurs disparaissent (Guyomarc’h, Bourgoin, UNICOPA) et d’autres se
renforcent ou apparaissent sur des créneaux de qualité diversifiés (L.D.C,
CAM.Britex, Gastronome, Glon…)
En 1994 la Bretagne subit un gros choc consécutif aux accords de l’Uruguay-Round.
Le secteur de la volaille perd :
-400 000 m² de poulaillers
-37% du tonnage produit
-33% de ses exportations avec un cortège d’emplois suite à la
fermeture d’élevages et d’entreprises de transformation.
Par sa croissance externe et ses délocalisations, DOUX devient le
leader européen de la volaille.
Leader aux pieds d’argile en raison de ses choix stratégiques
contestables et d’une gestion défectueuse aboutissant au désastre de 2012.
Dans son ensemble, la filière volaille française est malade. Après
avoir été largement exportatrices sur l’Europe les entreprises françaises sont
battues sur les marchés de la viande fraîche par les Allemands, les Belges, les
Hollandais et même les Polonais qui bénéficient d’une fiscalité plus
avantageuse et surtout font appel à de la main-d’oeuvre d’origine hors
Union européenne. Le résultat est désolant. Actuellement quatre
poulets sur dix consommés en France sont importés. Après DOUX, l’effet domino
est à craindre .
C - Production
1)Groupes régionaux et nationaux intervenant en Morbihan
2)Sites industriels morbihannais
Voir tableaux en annexes
3)Marché mondial
La consommation de viande de volaille connaît une progression
régulière partout dans le monde.
Cette progression s’explique par :
-une relative simplicité des techniques de production
-l’absence d’interdits religieux concernant cette viande
-un faible coût par rapport à la viande bovine.
Les intervenants sur le marché mondial sont de quatre ordres :
-L’Europe : France , Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Pologne
-le Brésil, de moins en moins présent en Europe
-les USA, surtout en poulet
-la Thaïlande, essentiellement sur le marché asiatique.
Le dossier « volaille » met en lumière les incohérences des
politique européennes:
-les accords d’échanges sur les viandes entre l’Europe et le
Mercosur (Amérique du Sud) sont très déséquilibrés puisque les coûts sortie
abattoir sont de 600 euros la tonne inférieurs au Brésil par rapport à la
France.
-à l’intérieur de l’Europe le déséquilibre est également très
important. A titre d’exemple grâce à sa politique fiscale et surtout salariale
qui permet aux industriels de faire appel aux travailleurs des Pays de l’Est, l’Allemagne
peut mettre sur le marché des produits à des coûts très inférieurs aux coûts de
production français : moins 160 euros la tonne pour la dinde et moins 123 euros
la tonne pour le poulet.
-les concurrents européens de la France appliquent une politique d’emballage
des produits beaucoup moins onéreuse : la caisse de 20 kg est d’usage courant
sauf en France. Ce qui n’empêche pas les acheteurs français de l’apprécier…
D - DOUX : le grand gâchis !
La déconfiture de « l’empire Doux » est un grand gâchis au sein de
la filière volaille.
Citons quelques aspects :
-L’endettement énorme du groupe Doux est dû en large partie à sa
filiale brésilienne FRANCOSUL.
Or l’achat de cette société était une forme de délocalisation de
la production de volaille vers un pays aux coûts de production imbattables en
raison
-de la faible rémunération de sa main- d’oeuvre
-de son climat n’exigeant que très peu de chauffage des élevages,
et des bâtiments légers
-une production locale de soja
Le désastre financier est donc bien étrange….
-Depuis l’origine, Doux s’est spécialisé dans l’exportation du
poulet congelé vers le Moyen-Orient et la Russie. Son développement sur ce
créneau s’est fait grâce aux « Restitutions européennes » (Subventions). Depuis au moins trente ans Doux a perçu des sommes
énormes (près de 55 millions d’euros pour l’année 2011). Ces crédits ont certes
contribué à créer et maintenir des emplois dans la production et la
transformation de la volaille, mais ils ont aussi été une forme de subvention
déguisée à des pays parmi les plus riches du monde qui disposent largement de
moyens suffisants pour nourrir leur population et leurs travailleurs sans l’aide
européenne.
-Sous le contrôle de la banque BNP-Paribas qui détient 20% de son
capital, Doux a participé au démantèlement de l’un des fleurons de l’agroalimentaire
breton : le groupe Guyomarc’h. Cela s’est traduit par la fermeture de Galina à
Vannes, Père Dodu à Malansac, Lerial à Locminé soit un millier d’emplois
sacrifiés sur le Morbihan.
-Pour se développer Doux a aussi pratiqué « la croissance externe
» en rachetant de nombreuses entreprises avicoles en France et en Europe. La
majorité d’entre elles ont depuis été fermées.
L’urgence impose la recherche de solutions pour sauver le maximum
d’outils industriels et leurs emplois, mais aussi les élevages avec les
centaines de familles concernées, sans oublier la multitude d’entreprises
sous-traitantes.
Ceci ne doit pas occulter la recherche des responsabilités dans ce
fiasco.
C’est notamment le rôle des députés européens pour enquêter sur le
volume et l’usage des énormes « restitutions » attribuées au groupe Doux
pendant des décennies pour soutenir une activité sans grande valeur ajoutée
vouée à l’échec en cas d’arrêt de ces aides. Ce qui est programmé pour 2020.
La moralisation de la vie publique et le bon usage de l’argent des
contribuables c’est aussi cela !
Cyr Le Texier